l’ABC du communisme
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- LE RÉGIME CAPITALISTE
- LA PRODUCTION DE MARCHANDISES
Lorsqu’on examine comment s’est développée la production sous la domination capitaliste, on voit avant tout qu’on y pro- duit des marchandises. «Qu’y a-t-il là de si remarquable?» pourrait-on demander. Il y a ceci de remarquable que la mar- chandise n’est pas un produit quelconque, mais un produit destiné au marché.
Un produit n’est pas une marchandise tant qu’il est fait pour notre propre besoin.
Quand le paysan sème son blé, puis le récolte et le bat, moud le grain et fait du pain pour lui-même, ce pain n’est pas une marchandise, c’est simplement du pain.
Il ne deviendra marchandise que lorsqu’il sera vendu et acheté, c’est-à-dire lorsqu’il sera produit pour l’acheteur, pour le marché; il appartiendra à celui qui l’achètera.
Dans le régime capitaliste, tous les produits sont destinés au marché, tous deviennent des marchandises. Chaque fabrique, usine ou atelier ne confectionne ordinairement qu’un seul produit et ce produit, évidemment, n’est pas fait pour le propre besoin du fabricant. Quant un entrepreneur de pompes funèbres exploite une fabrique de cercueils, il est clair que ces cercueils ne sont point pour lui-même ou pour sa famille, mais pour le marché. Quand un fabricant produit de l’huile de ricin, il est également clair que, même s’il souffre continuellement d’un embarras gastrique, il ne pourra conserver qu’une infime portion de la quantité d’huile produite par sa fabrique. Sous le régime capitaliste, il en est exactement de même pour n’im- porte quel produit.
Dans une fabrique de boutons, on produit des boutons, mais ces millions de boutons sont fabriqués non pour être cousus au gilet du fabricant, mais pour la vente. Tout ce qui est pro- duit dans la société capitaliste est produit pour le marché; c’est au marché que vont les gants et le saucisson cuit, les livres et le cirage, les métaux et l’eau-de-vie, le pain, les bottes et les armes; bref, tout ce qui est produit.
La production de marchandises suppose nécessairement l’existence de la propriété privée. L’artisan ou le petit industriel qui fabrique des marchandises est propriétaire de son atelier et de ses outils; le fabricant ou l’usinier possède sa fabrique ou son usine, y compris tous les bâtiments, machines, etc. Mais dès l’instant qu’il y a propriété privée et production de marchandises, il y a toujours lutte autour de l’acheteur, c’est-à-dire concurrence entre les vendeurs. Même quand il n’y avait pas encore de fabricants, d’usiniers, de gros capitalistes, mais de simples artisans, ces derniers déjà se disputaient l’acheteur. Et celui qui était le plus fort, le plus adroit, qui avait de meilleurs outils, mais surtout celui qui avait économisé de l’argent, avait toujours le dessus, accaparait l’acheteur, ruinait les autres arti- sans et arrivait à la prospérité. Donc, la petite propriété, productrice de marchandises, portait en germe la grande pro- priété et causait déjà beaucoup de ruines.
Ainsi, le premier trait caractéristique du régime capitaliste est la production de marchandises, la production destinée au marché.
- MONOPOLISATION DES MOYENS DE PRODUCTION PAR LA CLASSE CAPITALISTE
Ce caractère ne suffit pas à définir le capitalisme. Il peut exister une production de marchandises sans capitalistes, comme, par exemple, la production par les petits artisans. Ceux-ci produisent pour le marché et vendent leurs produits ; par conséquent, leurs produits sont bien des marchandises, et leur production une production de marchandises. Cependant, c’est une production ordinaire de marchandises, et non une production capitaliste. Pour que cette production ordinaire se transforme en production capitaliste, il faut, d’une part, que les moyens de production (instruments, machines, bâtiments, sol, etc.) deviennent la propriété d’une classe peu nombreuse de riches capitalistes et, d’autre part, qu’un grand nombre d’artisans indépendants et de paysans se ruinent et deviennent des ouvriers.
Nous avons déjà vu que la production ordinaire de marchandises porte en germe la ruine des uns et l’enrichissement des autres. C’est ce qui est arrivé en effet et, dans tous les pays, les petits artisans et les petits patrons se sont ruinés pour la plupart. Les plus pauvres finissaient par vendre leurs outils et, de patrons, devenaient des gens ne possédant plus rien que leurs bras. Ceux qui étaient un peu plus riches le devenaient encore plus, transformaient et élargissaient leurs ateliers, installaient de nouveaux établis, puis des machines, se mettaient à embaucher de nombreux ouvriers et se transformaient en fabricants.
Petit à petit, ces riches réunirent entre leurs mains tout ce qui est nécessaire à la production : bâtiments, machines, matières premières, entrepôts et magasins, maisons, usines, mines, chemins de fer, navires. Tous ces moyens de production sont devenus la propriété exclusive de la classe capitaliste (ou, comme on dit, le «monopole» des capitalistes). Une poignée de riches possède tout; une immense quantité de pauvres ne possède que ses bras. Le monopole de la classe des capitalistes sur les moyens de production est le deuxième trait caractéristique du régime capitaliste.
- LE SALARIAT
Une classe nombreuse d’hommes restés sans aucune propriété s’est transformée en ouvriers salariés du capital. Et, en effet, que devait faire le paysan ou l’artisan ruiné? Soit entrer comme domestique chez un propriétaire terrien, soit se rendre en ville pour travailler dans une fabrique ou une usine. Pour eux, pas d’autre issue. Telle fut l’origine du salariat, ce troisième trait caractéristique du régime capitaliste.
Qu’est-ce donc que le salariat ? Jadis, au temps des serfs et des esclaves, on pouvait vendre ou acheter chaque serf et chaque esclave. Des hommes, avec leur peau, leurs cheveux, leurs jambes et leurs bras, étaient la propriété privée de leurs maîtres. Le maître faisait fouetter à mort son serf, tout comme il brisait, par exemple, étant en état d’ivresse, une chaise ou un tabouret. Le serf ou l’esclave n’était qu’une simple chose. Chez les anciens Romains, les propriétés nécessaires à la production étaient franchement divisées en « instruments de travail muets» (les choses), «instruments de travail à moitié muets» (les bêtes de somme, moutons, vaches, bœufs, etc.) et «ins- truments parlants» (les esclaves, les hommes). Une pelle, un bœuf, un esclave étaient pour le maître, au même titre, des instruments qu’il pouvait vendre, acheter, détruire.
Dans le salariat, l’homme lui-même n’est ni vendu ni acheté. Il n’y a de vendu ou d’acheté que sa force de travail et non lui-même. L’ouvrier salarié est personnellement libre ; le fabricant ne peut ni le bâtonner ni le vendre à son voisin, il ne peut pas même l’échanger contre un jeune lévrier, comme au temps du servage. L’ouvrier lui-même ne fait que louer ses services. Il semble bien que le capitaliste et les ouvriers soient des égaux : «Si tu ne veux pas, ne travaille pas, personne ne te force à le faire», ainsi parlent messieurs les patrons. Ils prétendent même qu’ils nourrissent les ouvriers en les faisant travailler.
En réalité, les ouvriers et les capitalistes ne se trouvent pas sur un pied d’égalité. Les ouvriers sont enchaînés au capital par la faim. C’est la faim qui les oblige à s’embaucher, c’est-à- dire à vendre leur force de travail. Pour l’ouvrier, pas d’autre issue, d’autre choix. Les mains vides, il ne peut organiser sa «propre» production; qu’on essaye donc de fondre de l’acier, de tisser, de construire des wagons sans machines et sans outils ! Mais la terre elle-même, sous le régime du capitalisme, appartient tout entière à des particuliers ; on ne peut s’installer nulle part pour faire de la culture. La liberté pour l’ouvrier de vendre sa force de travail, la liberté pour le capitaliste de l’acheter, «l’égalité» du capitaliste et de l’ouvrier –tout cela n’est, en fait, qu’une chaîne, la chaîne de la faim qui contraint l’ouvrier à travailler pour le capitaliste.
Ainsi, le salariat consiste essentiellement dans la vente de la force de travail ou dans la transformation de cette force en marchandise. Dans la production de marchandises à forme simple, dont il a été question plus haut, on pouvait trouver au marché du lait, du pain, des tissus, des bottes, etc., mais point de force de travail. Cette force ne se vendait pas. Son propriétaire, l’artisan, possédait encore, en dehors d’elle, sa petite maison et ses outils. Il travaillait lui-même, utilisait sa propre force dans sa propre exploitation.
Il en est tout autrement en régime capitaliste. Ici, celui qui travaille ne possède aucun moyen de production; il ne peut utiliser sa force de travail dans sa propre exploitation; il est obligé, pour ne pas mourir de faim, de la vendre au capitaliste. A côté du marché où l’on vend le coton, le fromage et les machines, il se crée un marché du travail où les prolétaires, c’est-à-dire les ouvriers salariés, vendent leur force de travail. Par conséquent, ce qui distingue la production capitaliste de la production de marchandises, c’est que dans la production capitaliste, la force de travail elle-même devient une marchandise.
Ainsi, le troisième trait caractéristique du régime capitaliste est le travail salarié.
Les traits caractéristiques du régime capitaliste sont donc au nombre de trois :
— la production pour le marché (production de marchandises) ;
— la monopolisation des moyens de production par la classe capitaliste ;
— le travail salarié, c’est-à-dire fondé sur la vente de la force de travail.