La gloire des athées
Les montées parallèles des fondamentalismes musulman, chrétien et autres, ont redonné de la pertinence à un anticléricalisme qui apparaissait définitivement périmé. Face aux fanatismes qui relèvent la tête, il est opportun de rappeler le combat multiséculaire des athées et des libres penseurs, qui ont été la meilleure part et l’avant-garde de la philosophie contre les Eglises et les pouvoirs constitués ; et à qui l’on doit en définitive les progrès que le monde a connus. Cependant, l’athéisme n’est qu’assez peu de choses s’il se limite à la négation de « Dieu » et laisse debout les innombrables idoles et cultes de substitution de notre monde modernitaire. A quoi bon jeter des pierres au ciel si on laisse en place le système (anti-)économique qui détruit la terre ?
Les textes ici rassemblés par ordre chronologique – dont certains sont inédits en français – mêlent œuvres philosophiques et littéraires, poèmes, chansons ou pamphlets, depuis l’Antiquité indienne, chinoise, grecque… jusqu’à nos jours, en n’oubliant pas le domaine arabo-persan. Ils sont issus majoritairement d’Europe, ce continent ayant abrité jusqu’à présent la meilleure expression du rationalisme. C’est une anthologie, mais aussi une histoire succinte de la pensée antireligieuse et matérialiste.
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Introduction : L’athéisme intégral
Voici encore quelques années, la religion n’était plus combattue en France que par des groupes spécialisés, politiquement situés aux marges de la franc-maçonnerie, du trotskysme et de l’anarchisme. Ce n’était pas que la matière manquât tout à fait : les vieilles croyances jouaient leur rôle dans les nouvelles entraves mises à l’avortement dans un pays comme la France et, en Afrique, étaient à l’origine d’un nombre important de morts provoquées par la stigmatisation du préservatif. La messe semblait dite : certes, la société continuait de témoigner un certain respect à l’Eglise catholique, à ses institutions, ses pompes et ses œuvres, mais les sondages devaient bien confirmer l’évidence : la majorité des Français ne pratique pas, et ne croient même plus en Dieu (ils étaient 64 % dans ce cas au printemps 2004, selon l’un d’eux). Mais, bien sûr, tous ces gens ne sont pas des athées, un certain nombre n’ayant quitté le christianisme que pour des cultes de substitution, telles les diverses variétés d’hindo-bouddhisme.
Bien sûr, l’appareil médiatique continue de faire preuve d’une grande circonspection dans tout ce qui touche à la religion et au catholicisme en particulier, bien que la proportion d’athées, plus ou moins avoués, soit assez élevée parmi ses salariés. Les cardinaux ont un accès beaucoup plus aisé aux colonnes des journaux et aux émissions audiovisuelles que les imams ou les rabbins – sans parler des incroyants. Et le pape est sacré. Les journalistes sont tenus de donner aux ecclésiastiques leurs titres d’Ancien Régime (Monseigneur, Monsieur l’Abbé, etc.), et de bien faire précéder toute mention de chrétiens canonisés par l’adjectif saint, sainte. De même les fictions religieuses ne sont-elles présentées, le plus souvent, que comme des faits avérés (« Lorsque Dieu apparut à Moïse », « à Mahomet », etc.). On a noté aussi que, parmi les célébrités, bien peu prennent le risque de s’affirmer athées, préférant, quand il faut vraiment « communiquer » sur la question, se dire « agnostiques » ou « non-croyants ». Il ne reste guère que pour stigmatiser l’adversaire que l’on peut puiser dans le registre anticlérical : ainsi, du temps où le PC et la CGT inquiétaient encore un peu, leurs congrès étaient-ils immanquablement décrits par la presse comme des « grand-messes », les discours prononcés comme des « homélies », les revendications exprimées comme d’essence « sacro-sainte »… Et, aujourd’hui, pour déconsidérer ceux qui révèlent les turpitudes de la diplomatie secrète, on parle de « la religion » (ou des « apôtres ») de «la transparence».
Mais en cette orée du XXIe siècle, le religieux resurgit des décombres, certains des enfants d’immigrants africains, en butte aux discriminations raciale et sociale, ayant choisi d’affirmer leur révolte par une dissidence aux couleurs de l’islam – ce qui se manifeste par quelques particularités capillaires et vestimentaires. Pour les condamner, les laïques n’ont pas été moins virulents que les catholiques. A juste titre, ils ont stigmatisé le port du voile – cette antique marque de la sujétion féminine –, mais ils n’ont pensé en aucune manière que les accoutrements occidentaux sont aussi révélateurs de la domination masculine, qui est seulement moins forte. Et, ainsi, ils se sont mis dans la position délicate de condamner la liberté de s’habiller comme on veut.
La force du fanatisme et ses limites Si, à la Renaissance, la querelle théologique n’était pas la cause la plus déterminante des « guerres de religions », il en est de même aujourd’hui. Ce n’est pas l’antijudaïsme seul ni l’antiarabisme seul qui expliquent le conflit israélo-palestinien, mais des questions plus stratégiques ou plus matérielles comme la terre, l’eau, etc.
Les dirigeants d’al-Qaïda sont des fanatiques certes, mais avant tout des bourgeois de l’espèce commerçante qui, comme les bazaris de Téhéran naguère, veulent freiner l’avancée du capitalisme oligopolistique et tenter de revenir en arrière. Ils ne sont donc que secondairement des mâles dominateurs, inquiets des progrès de l’émancipation féminine. Car ce qui leur amène des troupes est d’ordre économique et social. On ne convainc pas des gens d’aller se faire exploser pour la seule gloire de Dieu.
Toutes les religions sont des impostures au même degré. Beaucoup d’athées et de libres-penseurs seront d’accord sur ce point, mais beaucoup aussi accorderont tout de même au christianisme une supériorité sur l’islam, en prenant notamment appui sur la condition que ce dernier réserve aux femmes – la pire qui soit, dit-on. Mais les pays arabes, qu’il faut distinguer des pays musulmans, sont-ils très différents en ce domaine des autres Etats du modèle archaïque, qui couvrent les deux tiers de la planète ? On pourra vérifier que tous les systèmes religieux recèlent des textes antiféminins. La domination des femmes par les hommes est un des fondements principaux de toute religion. Mais la marche du monde vers l’égalité des sexes semble irréversible. Même les mouvements musulmans devront en rabattre sur cette question, sous la pression des musulmanes mêmes qui y prennent des responsabilités croissantes, en Turquie notamment. C’est une autre ruse de l’histoire que l’extrême-droite occidentale, qui au fond partage les mêmes conceptions que l’islamisme, en vienne pour s’opposer à lui jusqu’à vanter l’émancipation des Européennes.
Mais cela n’interviendra qu’à moyen terme, et après une série de convulsions qu’il est difficile de prévoir. L’islam peut progresser encore en fédérant un certain nombre de frustrations engendrées par un pancapitalisme dévastateur. Contre lui, le christianisme peut aussi reprendre un peu de poil de la bête, surtout aux Etats-Unis, dont l’oligarchie dirigeante est décidée à maintenir sa domination sur le reste du monde par tous les moyens. Il est clair que la société mondiale est entrée dans une période de fortes turbulences, qui atteignent aussi maintenant les pays riches. Il y a donc une base objective au resurgissement de l’irrationnel et du religieux, comme chaque fois que la réalité devient trop compliquée à analyser et trop douloureuse à affronter. Mais ce n’est pas une guerre des civilisations, ou plutôt celle-ci n’est qu’une apparence. La cause du problème est économique. C’est là qu’il faudrait agir, mais l’Occident ne veut pas et ne peut pas le faire, car ce serait s’attaquer aux sources mêmes de sa richesse.
Le rôle historique des religions Le sentiment religieux est l’expression déformée des rapports sociaux, qui donc ne se modifieront pas par la seule critique de la religion. Celle-ci est tout de même indispensable. Tout ce qui renforce l’athéisme est bon à prendre. Mais dans quel but ? On peut imaginer une société hypercapitaliste, parfaitement athée, mue par la seule loi du marché, où les hommes, les marchandises seraient jugés sur leur seule valeur marchande, indépendamment de toute autre détermination raciale, religieuse, nationale, de caste, etc. Pour combattre le religieux efficacement, il faut d’abord se l’expliquer. Admettre que si, à l’échelle mondiale, tant de gens, envers et contre tout, continuent d’y être soumis, c’est sans doute qu’il représente un besoin et exerce une fonction. Il faut distinguer d’abord la religion-institution, clé de voûte du système social, des croyances qui la constituent. Ces croyances (que la Femme a fait le malheur de l’Homme, que Dieu a parlé à Moïse, que Jésus a ressuscité, que Bouddha a atteint le nirvana, et avant cela que ces personnages ont réellement existé) ne sont que l’écume d’un ensemble de commandements et d’interdictions qui correspondaient aux nécessités d’une époque. Autant que des imposteurs, les « prophètes » et les théoriciens religieux ont surtout été des synthétiseurs d’idées, et, parfois même, sur la base d’observations rationnelles, des prescripteurs de comportements utiles.
Comme protection plus ou moins efficace contre la loi du plus fort et l’arbitraire des pouvoirs, les religions ont pu jouer un rôle positif, quoique ce caractère progressiste se soit estompé depuis longtemps : à quelques exceptions près, le goupillon n’est jamais très loin du sabre. On leur reconnaîtra néanmoins un rôle de garde-fou moral face aux délires des savants avides et des apprentis-sorciers du clonage reproductif. La question de l’euthanasie, elle aussi, est emblématique d’un bon principe mais qui, avec le temps, a perdu sa valeur positive. Aujourd’hui, avec l’acharnement thérapeutique permis par les techniques modernes, le crime est de maintenir l’antique interdiction en toutes circonstances. Mais ne voit-on pas, dans l’actuel contexte de réduction des dépenses de santé pour les pauvres, que l’abattage de cette barrière permettra bientôt aux gestionnaires hospitaliers de faire mourir les grabataires dont les agonies seront jugées trop coûteuses pour les finances de leur établissement ? Enfin, l’écroulement des principes religieux n’a pas donné naissance, jusqu’à présent, à une nouvelle morale, comme l’avaient espéré les athées du XVIIIe siècle. On assiste même dans nos sociétés modernes à des retours en arrière, à des poussées de barbarie, indirectement provoquées par l’intensification des méthodes d’exploitation du travail humain par la minorité possédante.
L’athéisme est assez peu de choses quand il se limite à la négation de « Dieu » et à la critique des textes « révélés ». Or le religieux, c’est-à-dire la suspension des lois de la raison ou la limitation de son domaine, est une tentation permanente qui assaille chaque individu, y compris le rationaliste. Divinisation du Marché, de la Croissance, de l’Europe, de la Révolution, les fétiches repoussent comme les têtes de Cerbère dès qu’on les coupe. Et à l’échelle individuelle, quel est le « non-croyant » qui ne cède parfois à la tentation de se tricoter son petit dieu privé, Providence des optimistes ou Malédiction des pessimistes ? L’irrationnel n’est jamais très loin du rationnel et se greffe même sur les constructions scientifiques, une fois que concurrencées par d’autres hypothèses, on veut les graver dans le marbre. Toute théorie, y compris les mieux établies, est immanquablement appelée à se voir supplantée par une autre. Tant le Big Bang que la théorie de l’évolution darwinienne sont critiquées par certains auteurs comme étant entachées de métaphysique pour l’une et de finalisme pour l’autre.
L’athée intégral serait donc comme un cartésien extrémiste, qui exercerait sa critique inflexible dans tous les domaines de la connaissance et de la vie sociale, qui passerait au crible de la raison toutes les certitudes, ruinerait les espoirs irraisonnables, violerait les tabous, rirait des rites, bref abattrait les innombrables totems de nos sociétés modernitaires. « Il n’y en a pas un sur mille, mais pourtant ils existent » ! Ceux-là savent que l’athéisme n’est pas, loin de là, une condition suffisante à l’établissement d’une société juste et harmonieuse, mais qu’il est absolument nécessaire. « Ni dieux, ni maîtres ! », fatalement. Il ne sert à rien de jeter des pierres au ciel si on laisse debout le système qui détruit la Terre et les êtres qui la peuplent. La gloire des athées
En attendant, et quelque dose d’optimisme que l’on puisse entretenir sur la capacité de l’espèce à se sauver, elle et son support planétaire, il est opportun de réhabiliter la mémoire de tous ceux qui, par leurs écrits, leurs paroles, leurs comportements, leurs actions, ont osé combattre le fabulisme religieux. Certains l’ont payé de leur vie, la plupart de leur tranquillité. Après leur mort, ils n’ont été que rarement honorés en proportion de leurs mérites – quand ils n’étaient pas calomniés ou délibérément oubliés. Si aujourd’hui Galilée fait figure de martyr dans les manuels scolaires, Giordano Bruno, qui fut lui brûlé, est encore méconnu. Tout comme La Mettrie ou d’Holbach, théoriciens du matérialisme et militants de l’athéisme, et avant eux le curé Meslier, tous éclipsés par Montesquieu, Voltaire, Rousseau et Diderot.
Cette anthologie (ou chrestomathie, comme on disait autrefois), composée de manière chronologique, est aussi une histoire succincte du rationalisme et particulièrement du matérialisme. Dans une société moins soumise aux convenances religieuses, elle pourrait constituer l’ossature d’un manuel de philosophie à l’usage des lycéens. Car ce sont bien les athées qui ont dégagé la philosophie de la gangue de la théologie. Les athées, déistes, panthéistes, libertins, libres-penseurs, agnostiques…, ont été ses voltigeurs, les marqueurs des progrès de la raison, ainsi que de la résistance à l’oppression. Car la plupart d’entre eux furent aussi des opposants aux systèmes politiques et sociaux de leur époque. Dans certains cas, l’athéisme était une conséquence de cet engagement ; dans d’autres, ce sont les persécutions qui ont étendu leur critique au système social.
Tous n’étaient pas des révolutionnaires, ni même des contestataires. Ainsi, l’Athénien Critias, le Chinois Hsiun Tseu, ou encore Nietzsche, dont l’athéisme résigné relève d’une critique réactionnaire de la bourgeoisie triomphante. Inversement, s’il y a des athées réactionnaires, il s’est trouvé aussi des curés latino-américains partisans de la « théologie de la libération », et avant eux il y avait eu les révoltés millénaristes du Moyen Age et de la Renaissance. Mais qu’importent les hommes, ce sont les textes qu’ils ont laissés qui nous intéressent ici et la critique de la religion qu’ils contiennent, même si leurs auteurs n’ont pas toujours osé franchir le pas et se définir comme des athées. Ceux qui les ont persécutés ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, c’est une justice à leur rendre. Nous intégrons donc à cette anthologie des textes écrits par des libres penseurs ou des anticléricaux pas vraiment athées, mais qui dans leurs contextes historiques ont été néanmoins des jalons de la critique antireligieuse, ainsi le « panthéiste » du XVIIe siècle Vanini, qui déclara avant de mourir sur le bûcher qu’« il n’y a ni dieu ni diable ».
La croisière de l’athéisme Autant qu’il a été possible, on a tenté d’éviter les écueils du gallocentrisme et de l’eurocentrisme, même si l’athéisme et le matérialisme, liés au développement capitaliste, se sont surtout épanouis en Europe. On découvrira ainsi plusieurs textes d’auteurs originaires de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient, assez peu connus en Europe.
Nous donnerons d’abord un rapide aperçu des textes antiques sceptiques ou incroyants. Puis, nous convierons nos lecteurs à suivre le long cheminement tortueux de la philosophie vers l’athéisme. Après le trou noir historique qui suit l’effondrement de l’empire romain d’Occident et les persécutions justiniennes dans celui d’Orient, la falasifa – héritière de l’Antiquité gréco-latine, indienne et indirectement chinoise – prend, entre les ix e et xi e siècle de l’ère chrétienne, ses quartiers à Bagdad. A l’époque, cette ville nouvelle devint vite une « capitale-monde », interface entre l’Orient persan et indien d’une part, et l’Europe de l’autre. Puis, sous les coups de boutoir portés par les puissances maritimes italiennes contre l’Orient musulman, la philosophie se transporte majoritairement à l’université de Padoue, tombée sous la dépendance de Venise. A la Renaissance, les incursions françaises en Italie vont favoriser la pénétration des œuvres philosophiques en France, où elles vont inspirer les libertins du xvii e siècle, puis Descartes. Bien que chrétien, celui-ci avait été chercher le rationalisme fondamental de son système dans le pays le plus avancé, à tous points de vue (économique et politique), de l’époque, c’est-à-dire les Pays-Bas. Au début du XVIIIe siècle, l’athéisme se scinde en deux branches : les freethinkers qui passent la Manche dans les fourgons du nouveau roi d’Angleterre Guillaume d’Orange ; les philosophes, plus franchement athées, qui produiront la grande période française des Lumières.
Après la Révolution française, ce qui reste de critique antireligieuse à mener sera dévolu aux Allemands qui décriront la religion comme un fait historiquement nécessaire mais dépassé par la marche de l’histoire. Dans la seconde moitié du xix e siècle, la majorité des intellectuels sont athées ou libres penseurs. Ce ne sont plus eux qui se distinguent de leurs confrères, mais les chrétiens. La théologie, à laquelle même les scientifiques les mieux disposés ne peuvent laisser de place dans leurs constructions, est chassée des universités. La philosophie triomphe, mais refusant d’étendre sa critique rationaliste au système socio-économique, ne pouvant par nature qu’« interpréter le monde » comme disait l’autre, elle retombe dans la métaphysique et par ailleurs se révèle impuissante à contrer l’apparition de nouvelles idéologies spiritualistes ou mystiques.
A la fin du XIXe siècle, l’athéisme se fait militant pour combattre l’emprise encore vivace des Eglises dans les classes populaires. Porté par les militants des partis socialistes ou radicaux bourgeois, il perd en originalité, se replie sur lui-même, se bornant à vulgariser les idées que les philosophes et écrivains athées avaient élaborées depuis des siècles, et dont souvent les fondements avaient été posés dès l’Antiquité. Mais ce militantisme était sans doute nécessaire. Au XXe siècle, intellectuels et écrivains ne consacrent plus guère d’ouvrages à la religion. Les philosophes se replient sur les théories de la connaissance (école analytique ou phénoménologie), où Dieu est en option, pourrait-on dire. C’est une chose désormais naturelle que de ne pas « croire en Dieu », un problème que les uns et les autres estiment réglé par le cours de l’Histoire – mais peut-être se sont-ils rassurés un peu vite ?
Lors de sa seconde édition, au printemps 2006, nous avions ajouté un texte anonyme et onze auteurs ; à savoir, par ordre chronologique : le « Traité des Trois Imposteurs », Richard Burton, Ambrose Bierce, Manuel González Prada, Emile Pouget, Bertrand Russell, Wilhelm Reich, Charles Bukowski, Jean-Claude Pecker, Iñigo Ramírez de Haro, Jean Bricmont et Alan Sokal, et Leo Igwe. D’autre part, les extraits donnés de Poggio, Lepetit, Bayle, Béranger, Baudelaire, Panizza avaient été raccourcis, et ceux de Bakounine réaménagés. Une partie de la notice sur Freud se voyait transférée vers celle de Reich. Cette anthologie qui, dans la 1ère édition comportait 89 notices, en totalisait alors 100. Nous en rajoutons une dans cette troisième édition, consacrée au jeune blogueur palestinien Walid al-Husseini. De sorte que par le fait d’auteurs traités par couples, ces notices concernent en fait cent-trois auteurs et textes anonymes.
Les ajouts introduits dans l’édition de 2006 voulaient combler quelques manques de la première et attirer l’attention des lecteurs sur ces refuges de l’irrationnel que sont l’astrologie, la sorcellerie, le paranormal et les pseudo-sciences. Nous nous intéressions ainsi à ce retour de la métaphysique dans les sciences, qu’autoriseraient la mécanique quantique et le Big Bang, et dont les tenants américains du créationnisme et du « dessein intelligent » ne sont que la frange extrême. En Europe, les scientifiques « en quête de sens », qui veulent aller « au-delà de la physique » et récuser le matérialisme intrinsèque à la méthode scientifique, sont plus sophistiqués, mais communient néanmoins avec leurs lourdauds confrères d’outre-Atlantique dans l’hypothèse d’un « principe créateur ».
Nous profitions aussi de l’occasion pour expliciter notre affirmation (en 4e de couverture) que c’est aux athées et aux libres penseurs « que l’on doit en définitive les progrès que le monde a connus ». Cela signifie simplement qu’ils ont été la part la plus déterminante, l’aiguillon des avancées en sciences, en philosophie, dans les arts et les techniques, et l’organisation sociale. Cette opinion intègre le fait que, plusieurs fois, les nouveautés furent portées par des « croyants », plus ou moins sincères d’ailleurs : Descartes, Pascal, Darwin… Même l’alchimiste Paracelse fit progresser la médecine en reprenant des idées archaïques. On peut accorder aux relativistes, adversaires contemporains du « scientisme », que beaucoup d’inventions (du copernicanisme à la tarte Tatin) ont été faites par hasard ou par erreur méthodologique. La rationalité cohabite toujours avec « la folle du logis » (l’élucubration, la fantaisie…) et, selon les surréalistes, ce mélange était profitable. Mais reconnaître que la genèse des processus mentaux reste à élucider, que les hommes ne parviendront évidemment jamais à la connaissance complète de l’univers et que d’autres paradigmes épistémologiques s’imposeront, ne signifie pas qu’une force mystérieuse, inaccessible à la raison, irréductible aux principes millénaires de la logique et centenaires de l’investigation scientifique, soit à l’œuvre.
Tous les textes présentés le sont dans une orthographe et une ponctuation modernisées. Ils sont précédés d’une notice. Pour aider à la compréhension d’écrits parfois un peu ardus, le lecteur disposera de quelques notes de bas de page. On remarquera que, contrairement aux usages, les compilations monothéistes (Torah, Evangiles, Coran) seront portées en italiques (ou en romain dans les passages italisés), étant après tout des livres comme les autres.
Comme toute réédition, celle-ci a été l’occasion d’ajouts et de rectifications mineurs, quoiqu’assez nombreux. Outre l’arrivée d’un cent-et-unième auteur, la seule modification importante concerne une nouvelle fois Béranger. Sa chanson sur les Révérends Pères a été remplacée par le Bon Dieu, beaucoup plus savoureuse.
(décembre 2010).