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Camillo Berneri et Carlo Rosselli : Contre l’État
Berneri, né en 1897, socialiste devenu anarchiste en développant son regard critique, loin des poncifs et en restant ouvert. Il devient naturellement antifasciste. Rosselli, né en 1899, démocrate, devient socialiste libéral en développant son regard critique sur les partis traditionnels, avec la volonté d’agir Il devient naturellement antifasciste. Rosselli et Berneri sont contraints à l’exil et se rencontrent en un combat commun. Ces deux esprits ouverts échangent une correspondance où, outre l’antifascisme, tant en Italie qu’en Espagne, ils trouvent un terrain commun : la critique de l’État, qu’il soit fasciste, démocratique ou stalinien. Ils meurent assassinés, en 1937, l’un en France, par les fascistes, l’autre, en Espagne, par les staliniens. Si Berneri est relativement connu des lecteurs français, il n’en va pas de même pour Carlo Rosselli dont on sait à peine qu’il a été assassiné, avec son frère Nello, à Bagnoles-de-l’Orne, par des membres de la Cagoule agissant en sous-traitants de la police politique de Mussolini , l’OVRA. Il en va de même pour le mouvement qu’ils ont fondé et animé, Giustizia e Liberta. L’ouvrage ne porte pas sur la destinée de GL ; bornons-nous à dire qu’il fut un élément-clé de la Résistance en Italie, à partir de 1943, certes minoritaire, mais qu’il ne survécut pas à l’union sacrée du tripartisme PCI-PSI-DC et qu’il se dispersa et que ses militants rejoignirent les autres partis.
Deux personnes qui ne viennent pas de la même origine politique arrivent à échanger et à comprendre qu’ils ne sont pas d’accord, pourquoi ils ne sont pas d’accord, ce qui ne les empêche pas, au contraire, de continuer un dialogue fructueux. Berneri, qui est un anarchiste hérétique, reproche à Rosselli de se référer aux penseurs anarchistes sans les citer. Rosselli reconnaît ce qu’il doit à l’anarchisme, mais lui reproche une tendance à se figer à ne pas tenir compte des évolutions du capitalisme. Mais Berneri, dans les pas de Malatesta, ne veut pas non plus de cet anarchisme ossifié. Ainsi, au fur et à mesure, les deux hommes se rapprochent. A partir de leur interprétation de l’échec de la Révolution russe et du danger représenté par l’État, même ouvrier, ils en viennent à une critique de l’État, tous les États.
Mais ce dialogue fructueux n’est pas un dialogue d’intellectuels dégagés de la réalité. Au contraire, c’est un dialogue de militants qui a pour but de préparer l’action contre un ennemi commun. La participation des anarchistes à la brigade Rosselli, dès août 1936, sous la bannière « aujourd’hui, l’Espagne, demain l’Italie » en atteste. Pourtant, la situation en Espagne va voir diverger les deux hommes. Pour Rosselli, l’important c’est de gagner d’abord la guerre (position majoritaire portée depuis les staliniens jusqu’aux « anarchistes de gouvernement ») alors que pour Berneri, la révolution sociale prime tout (position très minoritaire portée par quelques anarchistes, poumistes et trotskistes). Les assassins fascistes et staliniens empêcheront que la discussion continue.
Ce petit ouvrage n’en reste pas là et prolonge, dans ses conclusions, l’actualité de Berneri et Rosselli. Quoi qu’il en soit, les échanges entre Berneri et Rosselli restent un cas rare de discussion politique, en vue d’une pratique commune, qu’ils méritent d’être salués pour cela et devraient inspirer, aujourd’hui d’autres échanges de la même qualité.